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L'aventure de Pigüé

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L'aventure de Pigüé Empty L'aventure de Pigüé

Message par Clémence Ven 17 Juin - 10:34

Depuis 3 ans je me promets de vous narrer le destin de ces familles aveyronnaises qui s'établirent en terres mapuches. Le projet est très différent de celui de notre roi. Mais c'est tout de même amusant que mes compatriotes rouergats se soient retrouvés là-bas !

L'aventure de Pigüé
1 - Naissance d'une idée


L'aventure de Pigüé Belgra10
Le 30 novembre 1884, après 38 jours de traversée à bord du « Belgrano » (1) affrété par le gouvernement argentin débarquent à Buenos-Aires une quarantaine de familles aveyronnaises. Qu’est-ce qui les amène ici, à 12000 km de chez eux ? C’est ce que je vais vous raconter !

Clément Cabanettes est un aveyronnais de la vallée du Lot, plus précisément du hameau d’Ambec, entre Espalion et St-Geniez-d’Olt. Son parcours est assez varié et chaotique puisqu’il commence au Grand séminaire de Rodez, puis préfère rejoindre le 46ème régiment d’infanterie, puis quittant l’armée comme sous-lieutenant de réserve travaille au Crédit Lyonnais à Paris avant de s’embarquer pour l’Argentine. Il a en effet appris par son ambassadeur que la jeune république d’Argentine recherche des officiers français pour encadrer l’école militaire nationale. C’est ainsi qu’en 1879 « Don Clemente » arrive à Buenos-Aires.
L'aventure de Pigüé Ccaban10
En fait il ne deviendra jamais instructeur pour l’armée argentine car lorsqu’il arrive, l’ambiance est à la révolution : l’ancien président est mort et le futur (Roca) n’a pas encore été élu.

Il faut dire que depuis la proclamation de la république en 1816, le régime est très instable, et seul Rosas parvient à s’imposer pendant une vingtaine d’années (1833-1852) face aux « caudillos » (dictateurs locaux). C’est lui qui lança la politique d’immigration pour peupler et cultiver les vastes étendues du pays – et mettre les indiens en minorité. La devise de Rosas : « Gouverner c’est peupler. » C’est d’ailleurs dans cette optique que la 1ère ligne de chemin de fer du pays est inaugurée vers le Sud, en 1857. Le problème n°1 des autorités reste en effet la conquête des terres du Sud sur les Indiens. Peu à peu tous les caciques sont vaincus : Calfucurá en 1852 et 1872, Namuncurá en 1872, Catriel en 1874.

Le Général Roca, vainqueur de Catriel est du coup élu président en octobre 1880. Il a 37 ans et sa devise est « Paix et administration » (à comparer avec la devise d’Orlie-Antoine…). En 1878 le « problème indien » est plus ou moins réglé mais il reste encore quelques poches de résistance et le gouvernement compte sur des colons, des particuliers, pour asseoir sa présence. Il cède donc des lots de terres. Des anglais les vendent même à la bourse de Londres.

Mais pour l’heure Clément Cabanettes, passionné de nouvelles technologies, se trouve un emploi très différent d’instructeur aux armées. Il est chargé de développer le téléphone sur le territoire ! Dirigeant la « Société du Pan-Téléphone de Léon de Loch », il se dépense sans compter pour convaincre des mérites de cette invention. La ligne d’essai du « Pantelefonico » installée à Buenos-Aires entre la mairie et le Colisée est un succès. Malheureusement, lors de la fusion avec une société anglaise, Cabanettes se fâche avec les dirigeants anglais (les anglois, toujours les anglois...) et quitte la Compagnie. Il est cependant toujours honoré en Argentine du titre de fondateur des télécommunications du pays (des centraux portent son nom).

Tout en installant ses lignes dans le pays, Clément Cabanettes rêvait d’autre chose. Ben oui, il est aveyronnais, la terre, ça compte ! Il imagine donc fonder une colonie agricole. La pampa le séduit, il s’y reconnaît. Ça tombe bien puisque le gouvernement veut des colons !
Voici ses propos, qui reflètent bien son enthousiasme pour ces terres :
« Nous nous dirigeâmes vers ces régions inconnues à travers d'immenses étendues de terres incultes et inhabitées.
Nous parcourûmes toute l'extension des champs que je voulais connaître et je fus vraiment émerveillé des beautés de cette région ; surpris aussi, car je ne m'attendais pas à voir si loin de Buenos-Aires ce que mes yeux contemplaient.
Une terre féconde couvrait toute la superficie de ces champs où le sol fertile se trouvait recouvert d'herbe douce qui en faisait un tapis naturel merveilleux ; un bon nombre de ruisseaux abondants serpentaient en murmurant doucement à travers ces grandes étendues ; les dernières et très abondantes pluies avaient fertilisé encore davantage ces terres vierges et l'immense plaine verte luxuriante et belle se prolongeait jusqu'au sommet des hautes montagnes dont les flancs et les cimes, rompant la monotonie de l'ensemble, étaient et sont toujours l'une des particularités de
cette région.
Un homme, un seul, habitait cette région au milieu de cette végétation sauvage et belle, un paria ou un anachorète perdu dans le désert. Il se nommait Brett et était le majordome de M. Casey. Il habitait un tout petit «rancho» qu'il avait fabriqué lui-même au moyen de briques en boue et de roseaux cueillis au bord des ruisseaux ; le rancho se composait d'une seule chambre très modeste et sommairement installée.
M. Brett fut envers moi l'homme accueillant, fin, très correct et simple qui m'offrit spontanément l'hospitalité.
Tout ce que je vis ici m'enchanta : la richesse, l'exubérante végétation et la surprenante fertilité du sol ; mais où mon âme se sentit la plus émerveillée, ce fut en contemplant l'endroit dénommé « Pi-hué»(2) qui, par ses montagnes et ses pittoresques paysages, amenait à mon esprit de Français immigré la douce nostalgie des belles montagnes de mon pays natal et je me dis « c'est ici que nous devons planter notre tente de campagne ; c'est bien la terre promise semblable à celle qui fut donnée aux Hébreux par Jéhovah ».

Carrément !

(1) La ligne des Chargeurs Réunis du Havre pour l'Amérique du Sud est inaugurée le 16 octobre 1872 par le BELGRANO : construit en 1872 par les Chantiers de L'Océan au Havre sous le nom de LOUIS XIV, long de 107 m, il est propulsé par un 2 cylindres compound de 700 CV.
(2) en mapudungún, ce mot signifie "Lieu de rassemblement". Mais c'est aussi sur ce lieu que Calfucurá, Mauque-Fue et Cañumil furent vaincus par le colonel Granada.


Dernière édition par Clémence le Lun 20 Juin - 21:18, édité 1 fois

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Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non ! c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !"
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Message par Invité Ven 17 Juin - 11:11

Bravo Clémence, vous l'aviez promis, vous le faites.
Je suppose que vous allez nous raconter la suite de l'aventure des "aveyronnais de la Pampa à Pigüe".
Pigüe sera d'ailleurs l'un de mes buts lors de mon prochain séjour en Argentine en 2012, après avoir participé à 2 nouveaux projets concrets: l'un à la fontière argentino-boilivienne (four solaire) et l'autre en Patagonia Norte (reserva indigena aucapan)...

Don Bosco

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Message par Clémence Mar 21 Juin - 14:25

L’aventure de Pigüé
2 – Concrétisation du rêve

Au cours de ses pérégrinations dans la pampa argentine, Clément Cabanettes découvre donc les terres de Pi-hué. Situées à une altitude de 300-400 mètres, à 600 km de Buenos-Aires et 140 du grand port de Bahia-Blanca, elles bénéficient d’un climat favorable. Elles appartiennent à un homme d’affaires d’origine irlandaise, surnommé « le grand celte » par les argentins. Il y laisse pâturer en liberté des juments destinées à l’armée. Edouard Casey jouera un rôle capital (c’est le cas de le dire) dans la réalisation du projet de Cabanettes, à tel point que l’Argentine associe les deux hommes dans sa mémoire.
L'aventure de Pigüé Eduard10
Clément Cabanettes rencontre Casey, lui expose son projet de colonie rouergate, et veut lui acheter 27000 hectares. L’acte notarial date du début 1884.
A partir de ce moment-là, « Don Clemente » se démène. D’abord il procède au lotissement du terrain. Ensuite il obtient grâce à Casey le prolongement de la voie ferrée Azul – Bahia Blanca jusqu’à Pigüé, ce qui n'est pas rien ! Il lui faut à présent convaincre les aveyronnais, et ça, ce n'est pas le plus simple...

Un autre homme lui est d’une aide précieuse : François Issaly. Ce charpentier aveyronnais était venu en Argentine en reconnaissance, avec dans l’idée d’y revenir avec sa famille. Il avait rencontré Cabanettes en 1881. Dès la cession des terres par Casey, les deux hommes mettent en place une offre, présentée sur prospectus. Le principe de base est le remboursement par les familles de leurs lots en 6 ans contre la ½ des récoltes. La "réclame" est alléchante pour qui tombe sur cette lecture ! Jugez plutôt :

« La colonie s'étend sur dix lieues carrées de superficie ; elle est divisée en lots de 100 hectares et l'on pourra procéder à une extension si le nombre de souscripteurs l'exige.
Chaque famille recevra une concession de 50 à 100 hectares.
Le climat de la province de Buenos Aires est absolument le même que celui du Midi de la France et se prête admirablement à toutes les cultures.
La colonie est traversée par la voie de chemin de fer reliant Buenos Aires à Bahia-Blanca ; une gare s'élève en son centre et on trouve une station à chaque extrémité de la concession.
Les terrains sont irrigués par plusieurs ruisseaux de quelque importance ; de plus, on y trouve de nombreuses sources appelées à être utiles aux familles.
Les terres sont recouvertes de prairies naturelles des plus belles et fertiles, faciles à retourner, sans ronces, arbustes et pierres comme souvent on en rencontre dans les pays européens ou d'Afrique.
Elles produisent en abondance tous les fruits et céréales, etc. et se montrent propres à toutes les cultures. De toutes les provinces argentines, c'est la seule où le sol et le climat permettent la culture de la vigne dans les mêmes conditions qu'en Bordelais ou Roussillon.
On évalue qu'un hectare de vigne (de 10 000 pieds) produit jusqu'à 50 ou 60 barriques de vin. La vigne donne les meilleurs rendements du pays. Ceux qui se décideront à en planter en retireront, immédiatement, de bons bénéfices; une barrique de vin se vend de 200 à 280 francs... »



Issaly, de retour en Aveyron, devient recruteur, parfois sur ses propres deniers, avec l’aide d’un autre homme, François Gay. Mais cela ne va pas sans mal. En effet, ses compatriotes sont d’abord très réticents, méfiants. Ensuite, une campagne de dénigrement fait rage dans la presse locale, associant curés, juge d’instruction, sous-préfet. Clément Cabanettes se fait traiter d’aventurier, de nouveau Marquis de Rais, de forban, d’entraineur de malheureuses victimes ! affraid Des bruits courent qu’il compte vendre les colons aux anglais, ou aux indiens, avec des précisions sur le prix par tête ! Certains sont persuadés qu’il y a dans la pampa d’énormes crapauds carnivores capables d’avaler une mère et ses enfants tout rond ! alien
Même en Argentine les prédictions sont pessimistes : on n’a jamais vu se constituer une colonie à des conditions aussi favorables pour les colons ! Cabanettes est à la limite de se faire traiter de "tonto" (imbécile) voire de "loco" (fou) par le gouvernement argentin.
En Aveyron, les efforts d’Issaly finissent par payer : de nombreuses familles se montrent intéressées. Mais qu’est-ce qui a bien pu les pousser à tenter l’aventure ? Lui :
L'aventure de Pigüé Phyllo10
Oui, parfaitement, le phylloxera ! Et c'est bien pire qu'un crapaud géant carnivore, en fait. Dans les années 1880, venu de Lozère, le phylloxera ravage la vallée du Lot, réduit à la misère les viticulteurs, et entraîne une émigration massive vers Paris (vous savez, les fameux limonadiers aveyronnais, qui font qu’il y a actuellement plus d’aveyronnais à Paris qu’en Aveyron).

Pendant ce temps le projet de Cabanettes, exposé dans de nouveaux prospectus, s’affine et s’organise. Le rouergat est confiant et revient lui-même en Aveyron durant l’été 1884 afin d’y rencontrer les candidats à l’immigration. Il repart en septembre, avec les signatures de 40 familles, soit environ 160 personnes dont 40 enfants, ses deux frères Sylvain et Lucien, et ses deux sœurs, Sylvie et Clémence. Il emporte aussi la promesse de l’évêque qu’un prêtre soit intégré au groupe. Ce sera l'abbé Domergue, ancien curé de la Bastide d'Aubrac. J'en reparlerai plus tard.

Et voilà comment, partis de la gare de Rodez le 23 octobre 1884, nos aveyronnais arrivent à Pigüé le 4 décembre 1884, emportant parfois de leur désormais lointaine terre natale quelques meubles en pièces détachées.

(à suivre)

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Message par jean-baptiste Mer 22 Juin - 0:18

Encore ! Encore !

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Message par Invité Mer 22 Juin - 10:49

Promis Clémence, je ne partirai pas avant la fin de votre récit sur l'aventure de Pigüe et Bravo, car sans vous ce forum serait bien monotone.

Don Bosco

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Message par Clémence Mer 22 Juin - 20:39

Merci pour vos encouragements ! Mais si vous parcourez toutes les parties du forum, vous verrez que d'autres se chargent de lui éviter la monotonie.
Don Bosco a écrit:Promis Clémence, je ne partirai pas avant la fin de votre récit sur l'aventure de Pigüe
Je vais donc faire un peu traîner... Very Happy

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Message par Clémence Ven 24 Juin - 22:00

L’aventure de Pigüé
3 – L’Eden est encore loin…

Lorsque les colons arrivent en ce 4 décembre 1884, tout ne se passe pas exactement comme annoncé.
Tout d’abord, les maisons préfabriquées en bois et zinc sont loin d’être construites, Clément Cabanettes s’étant fait escroquer par la compagnie qui devait s’en charger.
L'aventure de Pigüé Voleur10
Nos aveyronnais sont donc logés dans un hangar et les repas sont servis par une cantine. Cabanettes est le seul à posséder une petite maison en briques, dont il libère aussitôt une pièce pour servir de salle de classe. Dès l’attribution des lots de terrain par tirage au sort, 10 jours après l’arrivée, les nouveaux « piguenses » se mettent à construire leur maison avec les matériaux du bord, ce qui peut aller de la pierre à la brique, en passant par le bois et zinc ou le squat de terriers de viscaches ! Les maisons en pierre sont bâties sur le modèle rouergat (donc elles sont très bien !).

Autre problème : l’eau manque. En effet les puits promis ne sont pas encore creusés. Il faut donc aller au ruisseau, ce qui prend du temps. Avec les premiers puits, on découvre qu’il faut creuser très profondément pour avoir de l’eau.

Mais avec tout cela, le travail agricole ne manque pas ! En effet, les aveyronnais sont arrivés en décembre, autrement dit c’est l’été dans l’hémisphère sud : il faut donc récolter les terres ensemencées par Cabanettes.

Les années suivantes sont également très dures car les caprices du climat contrarient les efforts déployés : fortes gelées, sècheresse, grêle… on a évité les eaux sanglantes, les sauterelles et les pustules, mais c’était limite. De plus, les braves rouergats ne sont pas préparés à l’inversion des saisons, au ravage des cultures par les guanacos, au vent froid du sud qu’aucun arbre n’est là pour arrêter… et justement, en parlant d’arbres, leur rareté fait que l’on manque de combustible de chauffage. On a donc un peu froid, lors du premier hiver. Et comble du comble, la vigne ne pousse pas bien là-bas, les gelées sont trop fortes. Donc le vin y est rare. Non décidément c’est dur !
L'aventure de Pigüé Guanac11
Tous ces déboires ne découragent pas les colons : l’aveyronnais est tenace et volontaire, il est habitué aux conditions difficiles et au travail. Il s’adapte donc. Par exemple il fait sécher les bouses pour servir de combustible, adopte la jachère biennale, diversifie l’élevage, échange avec son voisin du matériel, des bêtes… En revanche, les mauvaises récoltes des premières années ne permettent pas de rembourser « Don Clemente » aussi vite que prévu. Celui-ci se retrouve donc en grande difficulté financière vis-à-vis de Casey. Il finit par être obligé de résilier son contrat d’achat de la concession, et « le grand celte » récupère tout. Les colons gardent leurs lots mais de nouvelles conditions beaucoup plus strictes sont imposées.

Les années 1888 et suivantes sont meilleures et les terres s’avèrent effectivement aussi fertiles que prévu. Les surfaces cultivées augmentent, les rendements sont exceptionnels (les aveyronnais ont vite compris qu’il était superflu de continuer à glaner « comme au pays »), Casey se montre moins exigeant… tout va pour le mieux, sauf pour Clément Cabanettes, grand déçu de l’histoire.

(à suivre)

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Message par Clémence Dim 26 Juin - 20:27

L’aventure de Pigüé
4 – Un drôle de curé

Petite pause dans le récit pour vous parler d'un personnage surprenant.

Si vous avez bien suivi, vous vous souvenez que l’abbé Domergue faisait partie du contingent des colons de 1884. C’est Clément Cabanettes qui avait obtenu de l’évêque de Rodez le « prêt » d’un des curés du diocèse, car un aveyronnais digne de ce nom est un fervent catholique et ne peut imaginer se passer d’un saint représentant de l’Eglise. Il comprit au bout de quelques jours pourquoi le choix de Monseigneur s’était porté sur l’abbé Alexis Domergue…

Première déconvenue, la 1ère messe sur le sol argentin devra un peu attendre… la pierre d’autel importée d’Aveyron ayant chu au fond du Rio de la Plata par la maladresse d’une jeune émigrante. Mais bon, ce n'est pas se la faute de l'"homme de Dieu".

L’abbé est… comment dire… un peu « brouillon », peu zélé, et a un fort penchant pour la boisson. Peu pressé pour faire construire une église, il se contentera longtemps d’une chapelle provisoire dans un baraquement, avec tout de même un petit orgue. Il officie dans un sabir mêlant le français, l’occitan et le « porteño » (mauvais espagnol des habitants de Buenos-Aires), mais en fait c’est surtout l’occitan qui est utilisé car il est compris de tous. Les registres sont tenus en espagnol, mais à l’endroit des noms de lieux on trouve souvent un infâme gribouillis !
Comme il est un peu « à côté de la plaque », on lui fait de mauvaises farces, comme celle qui consiste à lui faire croire qu’il bénit un nouveau couvent alors qu’il s’agit d’une autre sorte de lieu clos, que ces « dames » ont tapissé d’images pieuses. Embarassed

La sœur de cet abbé étant sœur (oui je l’ai fait exprès), il parvient à convaincre la mère supérieure de la congrégation des sœurs de la Providence de fonder un monastère à Pigüé. En mai 1888 du renfort religieux arrive donc, en la personne de 8 religieuses (dont une mère supérieure énergique, Mère Marie-Aloysia) et deux jeunes abbés fraîchement ordonnés et plein de pieuses intentions, Joseph Gimalac et Jean Desmazes, dont la mission est de tenter d’aide l’abbé Domergue. Tenter.

Leur jugement sur le père Domergue est d’emblée sévère ; il est accusé d’être cupide et de négliger le culte ainsi que la formation de ses paroissiens. Entre ces hommes, l’entente est plus que mauvaise. Ils profitent de la retraite annuelle de celui-ci à Buenos-Aires pour essayer de faire avancer le dossier « Construction d’une église ». Mais le plan échoue, l’abbé Domergue et Casey intriguant de concert. Impuissant à canaliser l'abbé Domergue et à cadrer ses ouailles, Desmazes craque au bout d’un an seulement, veut rentrer, doit finalement rester. Il parvient à faire fermer deux maisons de perdition mais sa tête est alors mise à prix ! Le pauvre homme quitte définitivement Pigüé en 1890 et meurt de fièvres au Brésil. A moins que ce ne soient les nerfs qui aient lâché.
L'aventure de Pigüé Dalton10
La mère supérieure du couvent et l’archevêque de Buenos-Aires implorent l’évêque de Rodez de les délivrer de l’abbé Domergue et de leur envoyer un nouveau prêtre. Seule cette dernière requête est entendue : l’abbé Jean-François Ratier arrive en août 1890 et reste 3 ans, pas plus – et c’est déjà un exploit. C’est un nouvel abbé, Guillaume Chaussade, qui parvient à lancer la construction d’une église en pierre. On est en 1895, soit 11 ans après l’arrivée des premiers colons. Cette église, située sur les hauteurs de la ville sera consacrée en 1900. En 1905 Pigüé accède au statut de paroisse sous le patronage de Notre-Dame de Lujan, à la déception des Piguenses qui auraient préféré Notre-Dame de Lourdes, en souvenir de leur origine française. Ils prendront leur revanche en construisant une nouvelle église sur le modèle de la basilique du Rosaire de Lourdes.
L'aventure de Pigüé 1_126510
Quant à notre trublion d’abbé Domergue, il finit par quitter Pigüé pour Buenos-Aires, où il est aumônier d’une maison de retraite, puis rentre finir ses jours en Aveyron, distribuant généreusement à droit et à gauche tout l’argent amassé en Amérique du Sud. Il fut sans doute un brave homme.

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Message par Hennuyer Lun 27 Juin - 12:30

Très intéressant tout cela Clémence! Very Happy

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Message par Clémence Jeu 30 Juin - 21:51

L’aventure de Pigüé
5 – Les années prospères

Les déboires évoqués dans les précédents messages ne doivent pas faire croire à l’échec de la colonie. Au contraire, à partir des années 1888, les récoltes sont abondantes, à tel point que les ex-paysans rouergats comprennent vite qu’il n’est pas forcément nécessaire de maintenir la vieille habitude du glanage !

En Aveyron, on suit avec passion les aventures des émigrants. On est impressionné lorsqu’ils racontent qu’ils peuvent tracer un sillon de plus de 2 km dans leur propriété ! Mais si ma bonne dame ! Boudiou ! Les lettres des nouveaux propriétaires argentins, les articles dithyrambiques de François Gay parus dans Le Bulletin d’Espalion, attirent ceux qui rêvent d’une vie différente et prospère. Il faut dire que François Gay, « secrétaire » de Clément Cabanettes, n’est pas d’une objectivité exemplaire : « Pigüé est situé sur une petite élévation d'où l'on jouit d'un point de vue agréable, l'air qu'on y respire est très pur. C'est l’Aubrac au mois de juillet.
La colonie de M. Cabanettes est une vaste plaine en prairies naturelles d'où s'élèvent çà et là quelques monticules représentés dans le plan joint aux prospectus qui ont été distribués dans le département.
La terre est noire, semblable à du fumier, et très fertile. M. Cabanettes a déjà obtenu des récoltes magnifiques sur plusieurs points. Cette année, il a fait semer 40 charretées de blé de toute sorte qu'on va commencer à moissonner et qui promet un grand rendement. Le lin, le maïs, les pommes de terre y viennent d'une façon luxuriante, ce qui est de très bon augure pour nous. C'est à croire que M. Cabanettes, en nous racontant les merveilles de ce beau pays, avait voulu nous réserver une surprise agréable pour nous faire oublier plus facilement notre vieux Rouergue.
Inutile de vous dire que je suis enchanté d'avoir suivi le colonisateur aveyronnais. »

L'aventure de Pigüé Nature10L'aventure de Pigüé Nature10L'aventure de Pigüé Nature10L'aventure de Pigüé Nature10L'aventure de Pigüé Nature10L'aventure de Pigüé Nature10L'aventure de Pigüé Nature10
La gare connaît une intense activité car tout arrive par le rail, et même de nouveaux colons ! Par exemple d’autres français vivant en Argentine, comme la communauté basque (mais oui FFB !) des livreurs de lait de Buenos-Aires ou d’Uruguay, soit 60 familles de plus en 4 ans. Soixante-huit nouvelles familles aveyronnaises viennent grossir la population de Pigüé entre 1886 et 1890. Les émigrations cesseront totalement avec la 1ère guerre mondiale.

Peu à peu c’est une véritable ville qui sort de terre, construite en damier. Alors que les agriculteurs sont français – tendance aveyronnaise, les commerçants sont d’origine espagnole et italienne. Il y a aussi quelques basques, célèbres pour leur béret. L'aventure de Pigüé 11210
En 1888, Alexis Peyret, chargé par le gouvernement argentin d’inspecter les colonies, publie un rapport enthousiaste sur Pigüé, son activité, ses corps de métiers, ses installations en cours comme par exemple le grand moulin construit en 1888. Le voici avec ses modernisations :
L'aventure de Pigüé Pigue110
Son rapport s’achève ainsi : « C'est le tableau d'une colonie en plein développement, en marche vers la prospérité. »

Les 25 premières années connaissent une intense activité. On fait l’acquisition de machines agricoles modernes pour produire plus et payer à Casey les annuités dues. Le port de Bahia Blanca se développe rapidement avec la hausse des exportations.

Le 4 décembre 1909 on fête dans l’euphorie les 25 ans de la fondation de la colonie. Ce jour-là on baptise la 1ère moissonneuse-batteuse fabriquée à Pigüé même par la Société industrielle agricole. Un grand banquet mettant à l’honneur la gastronomie française rend hommage à Clément Cabanettes à qui l’on offre un immense album contenant les signatures de tous les habitants de Pigüé.
Cette même année un certain Jules Hurel, chroniqueur français, décrit ainsi la ville : « Pigüé est presque un bourg français. Au lieu de maisons italiennes à toit plat, surmontées de balustres, ou de la demeure espagnole étroite et longue avec des patios intérieurs que je vois depuis bientôt six mois, voici des maisons campagnardes françaises bâties en pierres du pays, de construction carrée, en façade sur la rue, avec un jardinet derrière, une porte cochère ou une barrière fermant une cour latérale. Aux enseignes des magasins se lisent des noms français : Bonnet, Caussade, Vigouroux, Roumieux, Fabre, etc.
C'est dimanche. Au café principal de la petite ville, des paysans sont attablés, quelques-uns jouent aux cartes, d'autres au billard dans la fumée des pipes et des cigares. Tous endimanchés, ils ont la tenue de nos bourgeois de province.
Je me rendis compte avec plaisir que nos paysans aveyronnais, vite adaptés aux conditions de l'agriculture argentine, n'ignoraient rien ici du perfectionnement de l'outillage moderne. »


A cette époque on répète à l’envie que Dieu ne peut être qu’argentin.

En 1934, la ville compte environ 8000 habitants. Elle est devenue un important centre d’affaires avec de nombreux établissements bancaires et commerciaux. Les fortunes amassées ont permis de remplacer les baraques en planches par de belles villas. Chaque habitant a sa Ford. Les plus fortunés possèdent des appartements à Buenos-Aires, vont en villégiature en Europe (sur la Côte d’Azur), envoient leurs enfants dans des écoles ruthénoises ou des universités parisiennes, montpelliéraines… Certains vivent très bien de leurs rentes. 185 commercent ou entreprises offrent aux Piguenses les dernières nouveautés d’Amérique du Nord ou d’Europe. Un grand hôtel moderne est sorti de terre en 1924. Nous sommes à l’apogée du développement de Pigüé, la prospérité ayant été préservée par la neutralité de l’Argentine lors du 1er conflit mondial.

Les festivités de 1934, pour le cinquantenaire, sont l’occasion de fastes en tout genre, avec des inaugurations en pagaille. Par exemple un buste d’Edouard Casey, une statue représentant une mère avec son enfant, offerte par la jeunesse de Pigüé en symbole de reconnaissance envers leurs ancêtres. Même les espagnols ne veulent pas être de reste et inaugurent un buste de Cervantes, tandis que les italiens font de même pour Jean Rosso, bienfaiteur de la colonie. On pose la 1ère pierre d’une coopérative électrique, on inaugure l’Aéro-Club de Pigüé… tout ceci finit par un « asado » (sorte de barbecue géant) de 5000 convives. Pigüé est devenue chef-lieu de district en juin 1934. Un couronnement.
L'aventure de Pigüé Pigue510

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Message par Clémence Jeu 7 Juil - 22:30

L’aventure de Pigüé
6 – Don Clemente, bienfaiteur de la colonie

Vous vous souvenez peut-être de ce qui avait été écrit au chapitre 3 : Clément Cabanettes, endetté, n’est plus propriétaire de son lopin. Il aurait pu retourner en Aveyron, ou tenter sa chance sous d’autres cieux. Mais cette figure très paternelle et généreuse, inspirée par Saint-Simon, aurait eu l’impression d’abandonner ses colons. Il va donc continuer à se consacrer au bien-être de ses expatriés préférés, en se démenant et en usant de son influence pour leur faire une vie plus agréable.

- Comme je vous l’ai dit, il avait cédé une pièce de sa maison pour que les enfants aient une école. L’institutrice, Julie Bras, avait fait le voyage avec les colons. Dès février 1885, devançant l’autorisation de la Direction des Écoles de Buenos-Aires, elle se met à faire classe à une quarantaine d’enfants, principalement aveyronnais. Personne ne connaît l’espagnol, pas même l’institutrice ! or l’enseignement doit être dispensé dans cette langue. Les débuts sont donc en occitan, puis en sabir, et, officiellement, en novembre 1885, « tout le monde» parle espagnol. Officiellement. L'aventure de Pigüé Instit10
- En 1886, il avait aussi procédé à l’élection d’un conseil municipal, dont il était le fondateur et son frère le vice-président. Il règle à l’amiable les litiges trop insignifiants pour être portés devant le autorités argentines.
- L’un de ses grands combats sera de demander au gouvernement de la province de Buenos-Aires la création d’un nouveau district, le « Partido de Pigüé », dont Pigüé serait donc le chef-lieu. L’on n’accèdera à sa demande qu’en 1934, lors du cinquantenaire, en récompense du grand développement économique de la ville. En attendant, le siège du district est à Saavedra.
- En 1889, Clément Cabanettes obtient la création d’une charge de juge administratif.
- En 1891 il demande une agence consulaire au ministère français des affaires étrangères, et l’obtient, ainsi que la charge de consul de 1891 à 1898.
- En 1898 Don Clemente fonde la 1ère coopérative de l’hémisphère austral, « Le progrès agricole de Pigüé ». Cet organisme garantit les agriculteurs contre les dommages de grêle et d’incendie. Il en est le président. Cette société modèle continue aujourd’hui à être citée en exemple aux argentins. En revanche son projet de coopérative bancaire agricole est refusé par les autorités.
- Cette même année 1898, l’ancien directeur de la « Société du Pan-Téléphone de Léon de Loch » installe le téléphone public à Pigüé.

A Buenos-Aires où il réside après la perte de sa concession, il met en œuvre la création d’une piscine à l’européenne, avec des cours de natation, inaugurée en 1889. L'aventure de Pigüé Smiley10
Dix années plus tard, il veut récidiver avec un projet de grand parc de jeux à Buenos-Aires, « L’eden festival argentino », qui est refusé, et un projet de construction d’un canal navigable écarté car jugé impossible.

Il essaie un peu de se refaire en prospectant des gisements et mines d’or pour le compte du gouvernement argentin, mais là encore il se fait flouer : sa concession est rétrocédée. Il loue aussi une propriété à 15 km de Pigüé, à Costapié, ainsi nommé car en ce lieu les indiens coupaient les pieds de leurs ennemis. En conséquence, un charmant mirador donne un caractère campagnard à l’endroit. Il tente dans cette région, en 1903, la création d’une nouvelle colonie, qui échoue. Il fait un nouvel essai à Azul, aidé par des indiens en apparence soumis, mais qui disparaissent vite fait une fois le bornage terminé. Sa dernière tentative d’une nouvelle colonie, entre Maza et Anchorena, réussira, mais pas de son vivant.
Lors des 25 ans de la fondation, en 1909, la ville rend à son « père » un vibrant hommage : « Par votre lutte constante de « titan » infatigable, vous avez créé la plus belle, la plus florissante, la plus riche colonie agricole française qui existe dans la République argentine. » « Cette œuvre fut stérile pour moi ; mais elle a été féconde pour ceux qui sont venus dans cette contrée et, en luttant pour leur existence, ont vu leurs efforts couronnés par le succès. Je suis fier de voir, avant ma mort, triompher mes modestes initiatives. » répond-il.

La mort en effet, d’un cancer de la gorge, survient le 14 juillet 1910. Aussitôt les festivités du 14 juillet à Pigüé sont interrompues : « Le noble fondateur de cette colonie est mort. » annonce-t-on tristement. Sa dépouille mortelle arrive en gare de Pigüé le 16 juillet, un cortège de plus de 2000 personnes l’accompagne.
L'aventure de Pigüé 1_126513
On donnera son nom à une avenue de la ville en 1911,
L'aventure de Pigüé 1_126510
et un monument à sa gloire, payé par souscription publique, est érigé en 1925.
L'aventure de Pigüé 1_126511

Aux yeux des Piguenses comme des argentins, Clément Cabanettes passe pour un innovateur et un précurseur en raison de toutes ses réalisations et de ses rêves. Pour sa famille restée en Aveyron, il est juste un « aventurier rêveur », un « temaïre ».
L'aventure de Pigüé 1_126512

François Issaly, proche collaborateur de Cabanettes et héritier de sa pensée, reprendra le flambeau pour guider la colonie. Avec sa longue barbe blanche, il fait figure de patriarche et est très estimé. Mais il est un peu « illuminé » et va défier Dieu sur une colline..
Edouard Casey ne laissera pas non plus tomber les aveyronnais. Lui aussi fourmille d’idées, est soutenu par les banques anglaises, et tire sa fortune des exportations de viande réfrigérées (déjà !) au port de Bahia Blanca. Il donnera des terres pour permettre l’installation d’institutions religieuses, mais déploiera aussi son énergie autant à Buenos-Aires qu’en Urugay (à Montevideo en particulier). Il meurt dans un accident de chemin de fer, juste après avoir perdu toute sa fortune.

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Message par jean-baptiste Ven 8 Juil - 3:01

Je suis peut-être comme ces incultes qui, au concert, applaudissent avant la fin, mais tant pis je me lance: c'était superbe, merci Clémence !

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Message par Ronan Ven 8 Juil - 11:07

C'est moi qui porte le bouquet et qui embrasse la conférencière !!!

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Message par Clémence Ven 8 Juil - 12:22

Merci messieurs ! Il me restait cependant encore un dernier volet. Si vous me permettez...

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Message par jean-baptiste Ven 8 Juil - 14:51

Et voilà où nous a mené notre enthousiasme et notre zèle ! Nous passons pour des rustres !

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Message par Clémence Ven 8 Juil - 16:11

Mais non pas du tout Père Castor ! Very Happy

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L'aventure de Pigüé Empty Voilà cette fois c'est vraiment fini !

Message par Clémence Ven 8 Juil - 22:18

L’aventure de Pigüé
7 – Qu'en reste-t-il ?

Aujourd’hui Pigüé est une ville prospère de 14000 habitants au moins.
L'aventure de Pigüé 01_cas10
La crise de 1929 fut suivie de plusieurs sècheresses et autres invasions de sauterelles qui ont fait chuter le cours de blé et fait se replier sur eux les Piguenses ; du moins ont-ils limité leurs échanges avec l’Europe, alors que 9 ans plus tôt on fêtait avec faste la victoire de la Triple Entente, et on pleurait les soldats enrôlés volontairement en France. Pour ces raisons, les anciens français se sont plus volontiers intégrés à leur pays d’accueil, en particulier en se mariant avec des non-aveyronnais. Si l’on observe les langues pratiquées à Pigüé, on voit qu’en 1884 l’occitan dominait (face au mapudungún), que pendant la période prospère c’était le français, signe de culture et de réussite, et que le castillan, idiome officiel de l’Argentine, s’impose à partir des années 30. Le spectre du 2nd conflit mondial n’arrange rien.

Pendant que l’Europe soigne ses plaies, l’Argentine prospère et Pigüé avec. Les fêtes des 75 ans sont triomphantes malgré une vive déception : aucun représentant officiel de France n’est là. Les Piguenses pensent que l’Aveyron a oublié ses lointains cousins devenus gauchos. En réalité quelques commémorations un peu confidentielles ont lieu en Aveyron pour l’occasion. De leur côté, les aveyronnais sont persuadés que leurs cousins devenus riches et argentins les ont oubliés, voire les dédaignent.

Pourtant un geste symbolique a lieu en 1960 : le sénateur Bayol, de la province de Santa Fé, vient déposer dans le piédestal de la statue de Clément Cabanettes un coffret de bois contenant un peu de terre aveyronnaise, et salue la terre de Pigüé, « cette terre fécondée par la sève généreuse venue de la douce et vaillante France et qui fait, maintenant, l’admiration de tous ceux qui viennent la visiter. »
Ce geste émouvant agit comme un petit électrochoc : les amicales aveyronnaises de Paris essaient de rattraper la gaffe de leur absence au 75ème anniversaire en montant une exposition. De son côté l’ambassadeur d’Argentine, découvrant toute l’histoire de cette colonie, se rend en Aveyron en 1965. L’ambassadeur de France à Buenos-Aires ne manquera pas les 85 ans de Pigüé !
Dans les années qui suivent, de nombreux argentins fortunés viennent en Aveyron retrouver leurs racines. L’inverse est plus rare, à part cette Madame Agar qui s’y rend en 1969 avec dans ses bagages une pierre de la maison natale de Cabanettes, que l’on scellera dans le piédestal du monument, qui devient un vrai coffre aux trésors !

Ce sont les fêtes du centenaire (dont je me souviens parfaitement, j’avais 13 ans) qui manifestent la volonté partagée des aveyronnais et des Piguenses de se retrouver. C’est ainsi qu’en décembre 1884, une délégation de 300 rouergats (dont 180 officiels) arrive à Pigüé. La fête est chaleureuse et, là encore, fastueuse. Le Vatican envoie même un télégramme ! Le président argentin Raoul Alfonsin vient en visite. François Mitterrand viendra faire son petit tour à Pigüé en 1987, lors de son voyage officiel en Argentine.
L'aventure de Pigüé Pigue_10
Que reste-t-il de leurs racines aveyronnaises ? Un laguiole dans la poche, des clubs où l’on apprend l’occitan, des associations amicales, un musée régional ouvert en 1958 pour rassembler les objets et vêtements apportés par les 1ers colons, des noms de rues et des plaques…
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Le car des aveyronnais escorté :
L'aventure de Pigüé 20091110
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Et voilà ! Very Happy

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Message par Ronan Lun 11 Juil - 10:53

"Les Piguenses pensent que l’Aveyron a oublié ses lointains cousins devenus gauchos."

C'est politiquement correcte une phrase comme ça ?! Razz

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Message par Clémence Lun 24 Oct - 16:47

Numa Camille Ayrinhac est un peintre né en Aveyron en 1881. Il émigra à Pigüé en 1884. Ses allers et retours entre la France et l'Argentine lui ont permis, par le biais de la peinture, de faire connaître la Pampa aux Aveyronnais et inversement. Paysagiste mais aussi portraitiste, il a été le peintre du couple présidentiel Peron. Il est mort en 1951.
Vous pouvez voir quelques-unes de ses toiles sur le site de la Fondation Ayrinhac.

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Message par jean-baptiste Mer 26 Oct - 16:50

Chère Clémence,
Je suis allé me promener sur le site de la fondation. Les paysages de France font froid dans le dos: une France fatiguée, vieille, en ruine... Les adultes sont tous courbés et marchent avec une canne... Sans doute la France des campagnes, victime de l'exode rural, de la dénatalité et de la crise, ressemblait-elle à cela dans les années 30... surtout aux yeux d'un Argentin !

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