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mon arrière-arrière-grand-père salles
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jean-baptiste
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mon arrière-arrière-grand-père salles
A ma connaissance, un seul de mes ancêtres a passé le Cap Horn, longé les côtes de la Patagonie, connu l’Argentine et le Chili : mon arrière-arrière-grand-père Ludovic Salles de La Magdeleine.
Ludovic grandit à Agen. Est-il d'une famille agenaise? Je ne sais pas. Une brochure imprimée à Paris, Le Germinateur nutritif de La Magdeleine, fait de son père Léon Salles de La Magdeleine l’inventeur d’un procédé révolutionnaire d’amélioration des semences des céréales et des betteraves, appelé aussi « engrais de la Magdeleine », essayé à titre d’expérience en 1856 dans plus d’une centaine de propriétés, notamment dans la Somme. Ce même Léon Salles de La Magdeleine est l’auteur d’un long poème publié à Paris en 1857, L’Immaculée conception de la très sainte Vierge Marie, daté de janvier 1857 à Valines, dans la Somme… Alors ? D’où vient Léon ? De la Somme ? Que fait-il à Agen ? Mystère !
Donc Ludovic est à Agen. En 1849, à 14 ans, il s’engage comme mousse à Bordeaux : il embarque sur Le Noé vers Valparaiso via le Cap Horn ! Qui est-il ? Un adolescent rebelle ? Un passionné de la mer ?
Il reste mousse trois ans. Il est lieutenant à 18 ans, toujours sur Le Noé ; second à 21 ans, encore sur Le Noé. Après son service militaire de 1856 à 1858, il poursuit sa carrière dans la marine marchande : deuxième capitaine puis capitaine sur La Gironde, puis capitaine du Prince de Monaco, qui embarque des émigrants pour l’Argentine, de 1864 à 1866.
En 1860, il rate une occasion : il lui est offert d’entrer dans la marine nationale haïtienne avec le grade d’enseigne de vaisseau et de commander en second la corvette de l’école navale haïtienne. Le poste lui échappe car il ne répond pas à temps.
J’ai la chance d’avoir eu entre les mains ses journaux de bord et je vais vous en faire partager quelques extraits.
Ludovic grandit à Agen. Est-il d'une famille agenaise? Je ne sais pas. Une brochure imprimée à Paris, Le Germinateur nutritif de La Magdeleine, fait de son père Léon Salles de La Magdeleine l’inventeur d’un procédé révolutionnaire d’amélioration des semences des céréales et des betteraves, appelé aussi « engrais de la Magdeleine », essayé à titre d’expérience en 1856 dans plus d’une centaine de propriétés, notamment dans la Somme. Ce même Léon Salles de La Magdeleine est l’auteur d’un long poème publié à Paris en 1857, L’Immaculée conception de la très sainte Vierge Marie, daté de janvier 1857 à Valines, dans la Somme… Alors ? D’où vient Léon ? De la Somme ? Que fait-il à Agen ? Mystère !
Donc Ludovic est à Agen. En 1849, à 14 ans, il s’engage comme mousse à Bordeaux : il embarque sur Le Noé vers Valparaiso via le Cap Horn ! Qui est-il ? Un adolescent rebelle ? Un passionné de la mer ?
Il reste mousse trois ans. Il est lieutenant à 18 ans, toujours sur Le Noé ; second à 21 ans, encore sur Le Noé. Après son service militaire de 1856 à 1858, il poursuit sa carrière dans la marine marchande : deuxième capitaine puis capitaine sur La Gironde, puis capitaine du Prince de Monaco, qui embarque des émigrants pour l’Argentine, de 1864 à 1866.
En 1860, il rate une occasion : il lui est offert d’entrer dans la marine nationale haïtienne avec le grade d’enseigne de vaisseau et de commander en second la corvette de l’école navale haïtienne. Le poste lui échappe car il ne répond pas à temps.
J’ai la chance d’avoir eu entre les mains ses journaux de bord et je vais vous en faire partager quelques extraits.
Dernière édition par jean-baptiste le Jeu 6 Mai - 0:17, édité 2 fois
jean-baptiste- Grand Cordon de l'Etoile du Sud
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Comment Ludovic Salles de La Magdeleine est passé capitaine
Voici le rythme lent d’un voyage sur La Gironde :
Bordeaux : départ le 14 octobre 1861, il est second.
Gorée (Afrique) : 10 novembre.
Valparaiso : 22 février 1862.
Séjour à Valparaiso en mars.
Puntarenas (Costa Rica) : 25 avril ; chargement de nacres et de cafés, et retour :
Callao (port de Lima) : 30 août ! Etape incroyablement longue entre le Costa Rica et le Pérou ! Pas de vent ! La Gironde, depuis son départ de Puntarenas, parcourt dix lieues par jour en moyenne (je pense que Ludovic utilise ici la lieue marine, qui fait 3 milles marins, soit un peu plus de 5,5 kilomètres)… De plus, le capitaine tombe malade !
Extrait du journal de l'ancêtre:
Le capitaine parle, si sa santé ne se rétablit pas, d'aller relâcher à Lima. J'avoue franchement que j'aime mieux qu'il reste à bord car la responsabilité qu'il me laisserait en partant m'effraye un peu mais quoiqu'il arrive cependant, je ferai mon devoir.
Il a eu une rechute et voilà à quelle occasion…
Le 3 juin nous aperçûmes un énorme poisson plat pouvant mesurer dix pieds carrés et dont on ne voyait que le dos et d'énormes nageoires perpendiculaires sur lui.
Comme il faisait presque calme et que personne à bord ne se rappelait avoir vu durant sa navigation un poisson pareil, le capitaine fit mettre une embarcation à la mer pour aller le reconnaître. Quatre hommes et le maître d'équipage, armés de piques, de harpons et de fusils embarquèrent dans le canot.
Le poisson, bientôt rejoint, fut traversé de deux coups de harpon. Il était alors deux heures de l'après midi. Comme les harpons étaient retenus à bord du canot par de fortes amarres, le monstre emportant les deux harpons fit bientôt voler – je puis le dire - l'embarcation sur les flots.
Deux heures se passèrent ainsi, le canot entraîné par le poisson s'écartait de plus en plus. Le capitaine fit armer le second canot pour aller au secours du premier et lui-même embarqua emportant avec lui de fortes baïonnettes.
Je restai seul à bord avec le cuisinier, le mousse, le maître d'hôtel et un matelot.
« Nous vous écrirons si nous ne devons pas revenir » me dit le capitaine en partant.
Peu après le départ du capitaine la brise augmenta de force au point que je dus carguer plusieurs voiles et mettre en travers pour faire le moins de route possible. Une heure s'écoula de la sorte ; le monstre avait été dans cet intervalle, frappé de plus de cinquante coups de piques, de plusieurs décharges de coups de fusils chargés à balles et à bout portant, et malgré cela il continuait à entraîner le canot en frappant la mer de ses énormes ailerons et remplissant parfois les embarcations d'eau.
Le poisson, quoique perdant son sang avec une grande abondance, n'avait rien perdu de sa rapidité et quoiqu'il eut été frappé de nouveaux coups de piques, quoiqu'il eut reçu plusieurs coups de baïonnettes il entraînait encore les deux canots avec une vitesse incroyable.
Soudain, comme je suivais avec la longue vue tous les détails de ce drame, je vis le monstre plonger rapidement et mon cœur battit avec force lorsque je m'aperçus que, doué d'une force inexprimable, il entraînait le canot avec lui.
Cinq hommes montaient ce canot, le maître d'équipage compris.
Ils ne purent couper l’amarre à temps et l'avant du canot sombra. Je vis les hommes se réfugier à l'arrière de l'embarcation puis l'arrière disparut à son tour et je ne vis plus rien.
Saisi d'horreur, j'essayai de virer pour aller au secours de ces infortunés. Le navire, vu l'insuffisance de monde, refusa de virer et je fus contraint malgré moi de rester témoin impuissant de ce qui allait se passer encore.
Quand je repris la longue vue, les dix hommes étaient dans le canot restant, deux d'entre eux qui ne savaient pas nager avaient seuls couru de grands dangers. Les autres avaient rejoint à la nage la seconde embarcation. Ils réussirent à vider le canot chaviré au moyen de leurs chapeaux et l'équipage s'y embarqua de nouveau.
Mais le poisson tenait encore à l'embarcation par son amarre. Les hommes essayèrent de le remorquer à bord pensant qu'il devait avoir perdu assez de force ; mais au premier mouvement en avant que firent les canots, le monstre – à qui cette traction causait sans nul doute de grandes souffrances - fit un effort effroyable, se rendit sur l'eau au moyen de ses fortes nageoires et ce mouvement rétrograde fut tellement puissant que les deux canots plongèrent dans l'eau par l'arrière. Heureusement deux hommes étaient prêts à couper l'amarre et le poisson – criblé de blessures dont la moindre eut tué un homme sur le coup – s'éloigna rapidement emportant, piquées sur son dos, les piques, les baïonnettes et les harpons.
Les canots arrivèrent à bord à six heures du soir mais le capitaine qui était resté mouillé rechuta deux jours après.
Le capitaine, malade ne peut poursuivre le voyage est reste à Lima. Ludovic le remplace, il est capitaine. Le consul de Lima (que vient-il faire là-dedans ?) le confirme à ce poste.
Départ de Lima : 4 septembre.
17 décembre : le Cap Horn est doublé par temps de tempête.
Les Açores : 27 décembre.
Bordeaux : 13 mars 1863 !!!
L’aller-retour a duré 17 mois !
Bordeaux : départ le 14 octobre 1861, il est second.
Gorée (Afrique) : 10 novembre.
Valparaiso : 22 février 1862.
Séjour à Valparaiso en mars.
Puntarenas (Costa Rica) : 25 avril ; chargement de nacres et de cafés, et retour :
Callao (port de Lima) : 30 août ! Etape incroyablement longue entre le Costa Rica et le Pérou ! Pas de vent ! La Gironde, depuis son départ de Puntarenas, parcourt dix lieues par jour en moyenne (je pense que Ludovic utilise ici la lieue marine, qui fait 3 milles marins, soit un peu plus de 5,5 kilomètres)… De plus, le capitaine tombe malade !
Extrait du journal de l'ancêtre:
Le capitaine parle, si sa santé ne se rétablit pas, d'aller relâcher à Lima. J'avoue franchement que j'aime mieux qu'il reste à bord car la responsabilité qu'il me laisserait en partant m'effraye un peu mais quoiqu'il arrive cependant, je ferai mon devoir.
Il a eu une rechute et voilà à quelle occasion…
Le 3 juin nous aperçûmes un énorme poisson plat pouvant mesurer dix pieds carrés et dont on ne voyait que le dos et d'énormes nageoires perpendiculaires sur lui.
Comme il faisait presque calme et que personne à bord ne se rappelait avoir vu durant sa navigation un poisson pareil, le capitaine fit mettre une embarcation à la mer pour aller le reconnaître. Quatre hommes et le maître d'équipage, armés de piques, de harpons et de fusils embarquèrent dans le canot.
Le poisson, bientôt rejoint, fut traversé de deux coups de harpon. Il était alors deux heures de l'après midi. Comme les harpons étaient retenus à bord du canot par de fortes amarres, le monstre emportant les deux harpons fit bientôt voler – je puis le dire - l'embarcation sur les flots.
Deux heures se passèrent ainsi, le canot entraîné par le poisson s'écartait de plus en plus. Le capitaine fit armer le second canot pour aller au secours du premier et lui-même embarqua emportant avec lui de fortes baïonnettes.
Je restai seul à bord avec le cuisinier, le mousse, le maître d'hôtel et un matelot.
« Nous vous écrirons si nous ne devons pas revenir » me dit le capitaine en partant.
Peu après le départ du capitaine la brise augmenta de force au point que je dus carguer plusieurs voiles et mettre en travers pour faire le moins de route possible. Une heure s'écoula de la sorte ; le monstre avait été dans cet intervalle, frappé de plus de cinquante coups de piques, de plusieurs décharges de coups de fusils chargés à balles et à bout portant, et malgré cela il continuait à entraîner le canot en frappant la mer de ses énormes ailerons et remplissant parfois les embarcations d'eau.
Le poisson, quoique perdant son sang avec une grande abondance, n'avait rien perdu de sa rapidité et quoiqu'il eut été frappé de nouveaux coups de piques, quoiqu'il eut reçu plusieurs coups de baïonnettes il entraînait encore les deux canots avec une vitesse incroyable.
Soudain, comme je suivais avec la longue vue tous les détails de ce drame, je vis le monstre plonger rapidement et mon cœur battit avec force lorsque je m'aperçus que, doué d'une force inexprimable, il entraînait le canot avec lui.
Cinq hommes montaient ce canot, le maître d'équipage compris.
Ils ne purent couper l’amarre à temps et l'avant du canot sombra. Je vis les hommes se réfugier à l'arrière de l'embarcation puis l'arrière disparut à son tour et je ne vis plus rien.
Saisi d'horreur, j'essayai de virer pour aller au secours de ces infortunés. Le navire, vu l'insuffisance de monde, refusa de virer et je fus contraint malgré moi de rester témoin impuissant de ce qui allait se passer encore.
Quand je repris la longue vue, les dix hommes étaient dans le canot restant, deux d'entre eux qui ne savaient pas nager avaient seuls couru de grands dangers. Les autres avaient rejoint à la nage la seconde embarcation. Ils réussirent à vider le canot chaviré au moyen de leurs chapeaux et l'équipage s'y embarqua de nouveau.
Mais le poisson tenait encore à l'embarcation par son amarre. Les hommes essayèrent de le remorquer à bord pensant qu'il devait avoir perdu assez de force ; mais au premier mouvement en avant que firent les canots, le monstre – à qui cette traction causait sans nul doute de grandes souffrances - fit un effort effroyable, se rendit sur l'eau au moyen de ses fortes nageoires et ce mouvement rétrograde fut tellement puissant que les deux canots plongèrent dans l'eau par l'arrière. Heureusement deux hommes étaient prêts à couper l'amarre et le poisson – criblé de blessures dont la moindre eut tué un homme sur le coup – s'éloigna rapidement emportant, piquées sur son dos, les piques, les baïonnettes et les harpons.
Les canots arrivèrent à bord à six heures du soir mais le capitaine qui était resté mouillé rechuta deux jours après.
Le capitaine, malade ne peut poursuivre le voyage est reste à Lima. Ludovic le remplace, il est capitaine. Le consul de Lima (que vient-il faire là-dedans ?) le confirme à ce poste.
Départ de Lima : 4 septembre.
17 décembre : le Cap Horn est doublé par temps de tempête.
Les Açores : 27 décembre.
Bordeaux : 13 mars 1863 !!!
L’aller-retour a duré 17 mois !
jean-baptiste- Grand Cordon de l'Etoile du Sud
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Comment Ludovic commandait
Deux extraits de son journal de bord sur Prince de Monaco montre un personnage étonnement autoritaire – encore qu’ils reflètent peut-être autant l’esprit marin de l’époque que le caractère de l’auteur.
C’est en juillet 1864. Ludovic Salles est commandant, mais il est malade. Il a sans doute dû déléguer. Trop d’absences ? Des faiblesses ? Les marins en profitent pour chahuter, réclamer, que sais-je.
Il m'a encore fallu intervenir, pouvant à peine tenir sur mes jambes, mais résolu à faire respecter mon autorité à quel prix que ce fut. « Oui, leur ai-je dit en me contenant à peine, car ma colère se faisait jour malgré moi, cette colère furieuse, indomptable que rien n'arrête et devant qui tout doit fléchir, oui, vous n’avez ni cœur ni reconnaissance. On vous a prévenu que j'étais souffrant et, sans pitié, sans pudeur, sans vergogne aucune, vous faites autour de moi un tapage infernal. Eh bien donc je vous préviens que je ne veux plus entendre un mot de réclamation, un seul mot de mécontentement. Je suis maître à bord, maître suprême, votre roi, votre Dieu. Vous avez à Buenos Aires un consul et un gouverneur. Vous porterez vos plaintes à l'arrivée ; quant aux plaintes à bord je n'en veux d'aucune sorte. Comme capitaine, le premier que j'entendrai je le mets au fer comme un chien galeux, et comme homme je rendrai raison à terre, les armes à la main, car il faut vous le dire : je me fous de vous tous ! »
Là-dessus, il s’évanouit.
La scène ne devait pas manquer de sel !
Le second extrait concerne un passager, Michel Manilla, prêtre espagnol. Le prêtre avait souhaité faire une prière publique quotidienne et Ludovic Salles lui avait donné le feu vert.
A six heures tous les jours on sonnait la cloche à toute volée et chacun était libre de se rendre à la prière dite publiquement sur la dunette. Personne n'était forcé d'y assister, mais cependant, d'après l'ordre que j'avais donné, tous ceux qui n'y venaient pas devaient rester sur l'avant du grand mât observant un respectueux silence. Tout marchait à souhait lorsqu'un jour le seigneur Michel Manilla refusa de dire la prière tout en s'abstenant de faire connaître les motifs de son refus.
Cette conduite insultante m'ayant déplu je fis appeler le prêtre qui d'abord refusa de venir me parler ; mais bientôt, sur une injonction menaçante de ma part, il se rendit à mon appel. « Quelle est la lubie qui vous a passé par l'esprit ? lui dis-je, quel est le motif de votre refus de dire la prière, et, surtout pourquoi ne vous rendez-vous pas à mon premier appel ? – Je ne veux plus dire la prière, me répondit-il, parce qu'il y en a qui sont indignes de l'entendre et si je ne me suis pas rendu à votre premier appel ce n'est pas par mépris pour vos ordres mais parce que je voulais connaître le motif qui vous faisait m'appeler. »
« Sachez mon frère, lui dis-je en latin car nous ne nous comprenions qu'en cette langue, que lorsque je donne un ordre nul ne peut refuser d'y obéir, que je suis le maître ici et que votre qualité de prêtre quoique donnant lieu à des égards volontaires de ma part, ne vous enlève cependant pas à ma juridiction. Je trouve votre conduite inconvenante et me réserve d'en porter plainte à qui de droit ; je dois vous prévenir en finissant que tout complot contre moi est puni des travaux forcés et que si j'ai la preuve d'une pareille conduite je vous ferai mettre aux fers jusqu'à l'arrivée. »
C’est en juillet 1864. Ludovic Salles est commandant, mais il est malade. Il a sans doute dû déléguer. Trop d’absences ? Des faiblesses ? Les marins en profitent pour chahuter, réclamer, que sais-je.
Il m'a encore fallu intervenir, pouvant à peine tenir sur mes jambes, mais résolu à faire respecter mon autorité à quel prix que ce fut. « Oui, leur ai-je dit en me contenant à peine, car ma colère se faisait jour malgré moi, cette colère furieuse, indomptable que rien n'arrête et devant qui tout doit fléchir, oui, vous n’avez ni cœur ni reconnaissance. On vous a prévenu que j'étais souffrant et, sans pitié, sans pudeur, sans vergogne aucune, vous faites autour de moi un tapage infernal. Eh bien donc je vous préviens que je ne veux plus entendre un mot de réclamation, un seul mot de mécontentement. Je suis maître à bord, maître suprême, votre roi, votre Dieu. Vous avez à Buenos Aires un consul et un gouverneur. Vous porterez vos plaintes à l'arrivée ; quant aux plaintes à bord je n'en veux d'aucune sorte. Comme capitaine, le premier que j'entendrai je le mets au fer comme un chien galeux, et comme homme je rendrai raison à terre, les armes à la main, car il faut vous le dire : je me fous de vous tous ! »
Là-dessus, il s’évanouit.
La scène ne devait pas manquer de sel !
Le second extrait concerne un passager, Michel Manilla, prêtre espagnol. Le prêtre avait souhaité faire une prière publique quotidienne et Ludovic Salles lui avait donné le feu vert.
A six heures tous les jours on sonnait la cloche à toute volée et chacun était libre de se rendre à la prière dite publiquement sur la dunette. Personne n'était forcé d'y assister, mais cependant, d'après l'ordre que j'avais donné, tous ceux qui n'y venaient pas devaient rester sur l'avant du grand mât observant un respectueux silence. Tout marchait à souhait lorsqu'un jour le seigneur Michel Manilla refusa de dire la prière tout en s'abstenant de faire connaître les motifs de son refus.
Cette conduite insultante m'ayant déplu je fis appeler le prêtre qui d'abord refusa de venir me parler ; mais bientôt, sur une injonction menaçante de ma part, il se rendit à mon appel. « Quelle est la lubie qui vous a passé par l'esprit ? lui dis-je, quel est le motif de votre refus de dire la prière, et, surtout pourquoi ne vous rendez-vous pas à mon premier appel ? – Je ne veux plus dire la prière, me répondit-il, parce qu'il y en a qui sont indignes de l'entendre et si je ne me suis pas rendu à votre premier appel ce n'est pas par mépris pour vos ordres mais parce que je voulais connaître le motif qui vous faisait m'appeler. »
« Sachez mon frère, lui dis-je en latin car nous ne nous comprenions qu'en cette langue, que lorsque je donne un ordre nul ne peut refuser d'y obéir, que je suis le maître ici et que votre qualité de prêtre quoique donnant lieu à des égards volontaires de ma part, ne vous enlève cependant pas à ma juridiction. Je trouve votre conduite inconvenante et me réserve d'en porter plainte à qui de droit ; je dois vous prévenir en finissant que tout complot contre moi est puni des travaux forcés et que si j'ai la preuve d'une pareille conduite je vous ferai mettre aux fers jusqu'à l'arrivée. »
jean-baptiste- Grand Cordon de l'Etoile du Sud
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Où l'on apprend que Ludovic a rêvé d'un brillant mariage argentin
Lors de ses escales en Argentine, Ludovic fait la connaissance du Président de la République de l’époque, Bartolomé Mitre, une très forte personnalité, originale et difficile à définir : général, c’est un homme de putsch et un homme de guerre ; mais, grand érudit, il est aussi connu comme bibliophile, journaliste, écrivain, historien, critique littéraire, et traducteur de Victor Hugo et de Prosper Mérimée. Ce Président exceptionnel encourageait l’immigration des Français (voilà peut-être comment il a connu le capitaine du Prince de Monaco). Ludovic aurait souhaité épouser sa fille. Une lettre très agréable de Mitre à Ludovic, que j’ai sous les yeux, ne parle que d’une pièce de théâtre (imprimée au Havre en 1865) que Ludovic Salles de La Magdeleine a dédié à celui dont il rêvait pour beau-père. Sans doute Ludovic n’a-t-il jamais osé faire sa demande. Voilà ce que dit son journal :
Je m’étais enamouré de la fille cadette du général Bartholomé Mitre ; où avais-je la tête ? – Ah ! c’est qu’aussi il était bien difficile de rester froid devant une aussi ravissante créature ; et puis quand on voit – ou l’on croit voir- que l’on s’occupe de vous, le moyen de rester calme et impassible ! Jamais je ne lui ai parlé et cependant j’étais sûr qu’elle me comprenait à merveille. Nous nous brouillions et nous faisions la paix je ne sais pas au moyen de quels signes et cependant c’était aussi réel que s’il nous eut été donné de vivre sous le même toit.
Au théâtre elle se plaçait tournant le dos à la scène et dans ma direction ; ses yeux cherchaient les miens, son regard m’interrogeait ou me répondait tour à tour ; si mes yeux venaient à s’exprimer trop librement, ses longues paupières s’abaissaient sur ses beaux yeux et la pudique rougeur colorait son visage. A la sortie j’avais son premier regard et je m’étais tellement fâché de la voir accepter les bras des aides de camp de son père, qu’elle ne sortit plus qu’au bras de sa sœur. Le jour elle passait dans ma rue pour aller chez sa modiste ou elle restait derrière sa persienne attendant mon passage ; le dimanche elle allait à la même église et à la même messe et comment penser qu’il n’y avait chez elle aucun calcul quand, sortant un jour de la messe de 10 heures alors que j’entrai à la suivante, elle avait adopté cette dernière le dimanche suivant ; tandis que voulant profiter de l’épreuve je rentrai le dimanche d’après à la messe de midi alors qu’elle sortait de celle de 11 heures, le dimanche suivant elle vint à la messe de midi. Je l’amenai de la même manière à la messe de 1 heure.
Au bal elle passait sans cesse devant moi, rougissant lorsque je passais devant elle ; elle vint même une fois danser seule avec un cavalier dans un vestibule où j’étais seul étendu sur un sofa. Sa sœur riait de tous ces enfantillages et je suis bien sûr qu’elle l’avait prise pour confidente.
Finalement, Ludovic renonce à cette cour. Il épouse une jeune fille de Villeneuve-sur-Lot.
Je m’étais enamouré de la fille cadette du général Bartholomé Mitre ; où avais-je la tête ? – Ah ! c’est qu’aussi il était bien difficile de rester froid devant une aussi ravissante créature ; et puis quand on voit – ou l’on croit voir- que l’on s’occupe de vous, le moyen de rester calme et impassible ! Jamais je ne lui ai parlé et cependant j’étais sûr qu’elle me comprenait à merveille. Nous nous brouillions et nous faisions la paix je ne sais pas au moyen de quels signes et cependant c’était aussi réel que s’il nous eut été donné de vivre sous le même toit.
Au théâtre elle se plaçait tournant le dos à la scène et dans ma direction ; ses yeux cherchaient les miens, son regard m’interrogeait ou me répondait tour à tour ; si mes yeux venaient à s’exprimer trop librement, ses longues paupières s’abaissaient sur ses beaux yeux et la pudique rougeur colorait son visage. A la sortie j’avais son premier regard et je m’étais tellement fâché de la voir accepter les bras des aides de camp de son père, qu’elle ne sortit plus qu’au bras de sa sœur. Le jour elle passait dans ma rue pour aller chez sa modiste ou elle restait derrière sa persienne attendant mon passage ; le dimanche elle allait à la même église et à la même messe et comment penser qu’il n’y avait chez elle aucun calcul quand, sortant un jour de la messe de 10 heures alors que j’entrai à la suivante, elle avait adopté cette dernière le dimanche suivant ; tandis que voulant profiter de l’épreuve je rentrai le dimanche d’après à la messe de midi alors qu’elle sortait de celle de 11 heures, le dimanche suivant elle vint à la messe de midi. Je l’amenai de la même manière à la messe de 1 heure.
Au bal elle passait sans cesse devant moi, rougissant lorsque je passais devant elle ; elle vint même une fois danser seule avec un cavalier dans un vestibule où j’étais seul étendu sur un sofa. Sa sœur riait de tous ces enfantillages et je suis bien sûr qu’elle l’avait prise pour confidente.
Finalement, Ludovic renonce à cette cour. Il épouse une jeune fille de Villeneuve-sur-Lot.
jean-baptiste- Grand Cordon de l'Etoile du Sud
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Date d'inscription : 28/11/2008
Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Ah que voilà une nouvelle belle histoire, Vénérable Père Castor!
J'ai particulièrement aimé le récit du brin de cour offert à la fille du Président, et qui je ne sais pourquoi me fait penser à celui d'une rencontre que fit Saint Exupéry de deux jeunes filles dans une hacienda de la pampa, de leur dîner à peine dérangé par les vipères sous la table, et la superbe description de leur inaccessibilité à une intelligence masculine épaisse.
Et quelle belle description de ce jeu subtil, avec son chassé-croisé liturgique...
Vraiment, vous nous comblez une fois encore et méritez amplement votre nouveau titre, cher Jean-Baptiste!
J'ai particulièrement aimé le récit du brin de cour offert à la fille du Président, et qui je ne sais pourquoi me fait penser à celui d'une rencontre que fit Saint Exupéry de deux jeunes filles dans une hacienda de la pampa, de leur dîner à peine dérangé par les vipères sous la table, et la superbe description de leur inaccessibilité à une intelligence masculine épaisse.
Et quelle belle description de ce jeu subtil, avec son chassé-croisé liturgique...
Vraiment, vous nous comblez une fois encore et méritez amplement votre nouveau titre, cher Jean-Baptiste!
Archange- Commandeur de la Constellation du Sud
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Localisation : Nebelsbad, Alpes du Sudetenwaltz, Principauté de Zubrowka
Date d'inscription : 23/01/2009
Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
S'il vous plaît, encore une histoire cher Vénérable Père Castor !!
Bizarrement je préfère vous lire chers amis, plutôt que de parcourir le dernier discours de notre directeur qui commence par : "Chers camarades".
Bizarrement je préfère vous lire chers amis, plutôt que de parcourir le dernier discours de notre directeur qui commence par : "Chers camarades".
Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
"дорогие товарищи" comme on disait en ex-URSS.
Clémence- Officier de la Couronne d'Acier
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Faut pas que je dise du mal. Moi je suis quand même payé pour le lire !!!
Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Archange a écrit:...le récit du brin de cour offert à la fille du Président, et qui je ne sais pourquoi me fait penser à celui d'une rencontre que fit Saint Exupéry de deux jeunes filles dans une hacienda de la pampa, de leur dîner à peine dérangé par les vipères sous la table, et la superbe description de leur inaccessibilité à une intelligence masculine épaisse.
Ah oui, je me souviens bien, c'est dans Terre des Hommes ! Et je parierais une poignée de pesos que la scène se passe en Patagonie (mais je n'ai pas le livre sous la main).
jean-baptiste- Grand Cordon de l'Etoile du Sud
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
jean-baptiste a écrit:Archange a écrit:...le récit du brin de cour offert à la fille du Président, et qui je ne sais pourquoi me fait penser à celui d'une rencontre que fit Saint Exupéry de deux jeunes filles dans une hacienda de la pampa, de leur dîner à peine dérangé par les vipères sous la table, et la superbe description de leur inaccessibilité à une intelligence masculine épaisse.
Ah oui, je me souviens bien, c'est dans Terre des Hommes ! Et je parierais une poignée de pesos que la scène se passe en Patagonie (mais je n'ai pas le livre sous la main).
Exact pour la source! C'est un des plus beaux passages du livre pour moi, avec le campement de fortune en Mauritanie dans l'attente d'un avion de secours.
Pour la localisation de l'Estancia, votre interprétation est séduisante Jean-Baptiste. Il ne me souvient pas que plus de précision soit donnée mais je ne crois pas que l'Aéropostale s'aventurait au-delà de Buenos Aires, au bout de la route Toulouse-Madrid-Mauritanie-Dakar-Brésil... Quelqu'un a-t-il des informations sur le sujet?
Mais la Patagonie, n'est-ce pas partout ou le rêve s'immisce à la faveur de rencontres inattendues?
Archange- Commandeur de la Constellation du Sud
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Archange a écrit:
mais je ne crois pas que l'Aéropostale s'aventurait au-delà de Buenos Aires, au bout de la route Toulouse-Madrid-Mauritanie-Dakar-Brésil... Quelqu'un a-t-il des informations sur le sujet?
Il suffit de demander !
Alors : sur ce site
Extrait : L’infatigable aventurier avait créé des liens forts avec l’Argentine, en particulier avec la Patagonie. On en trouve d’ailleurs la trace dans ses correspondances. Dans une lettre écrite à sa mère, il décrit les paysages impressionnants qu’il découvre vus du ciel :
“…Quel beau pays et à quel point la cordillère des Andes est grandiose ! Je me suis retrouvé au début d’une tempête de neige à 6500 mètres d’altitude. Les sommets me crachaient de la neige comme le ferait un volcan et il me semblait que toutes les montagnes commençaient à bouillir… “
Saint-Exupéry créera la ligne de Patagonie, de Buenos-Aires à Punta Arenas. Plus tard, il ramènera un phoque de Patagonie, un puma, une panthère…
Il FAUT que je lise Terre des Hommes ! (en plus de tout plein d'autres livres...)
Dernière édition par Clémence le Mer 12 Mai - 8:48, édité 1 fois
Clémence- Officier de la Couronne d'Acier
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
vous etes desesperant d'intelligence de connaissances et d'erudition
le royaume du vent est peuplé d'universités!
arghh, je vais me suicider a la pizza patagone
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pierre D- Officier de la Constellation du Sud
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Pourquoi "désespérants" ? Le savoir est une belle chose, le partager le rend plus beau encore.
Clémence- Officier de la Couronne d'Acier
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
c'est bien plus beau lorsque c'est inutile!
pierre D- Officier de la Constellation du Sud
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Que dire alors du partage des savoirs inutiles... magnifique...
Clémence- Officier de la Couronne d'Acier
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
jean-baptiste a écrit:« Sachez mon frère, lui dis-je en latin car nous ne nous comprenions qu'en cette langue, que lorsque je donne un ordre nul ne peut refuser d'y obéir, que je suis le maître ici et que votre qualité de prêtre quoique donnant lieu à des égards volontaires de ma part, ne vous enlève cependant pas à ma juridiction. Je trouve votre conduite inconvenante et me réserve d'en porter plainte à qui de droit ; je dois vous prévenir en finissant que tout complot contre moi est puni des travaux forcés et que si j'ai la preuve d'une pareille conduite je vous ferai mettre aux fers jusqu'à l'arrivée. »[/i]
Tout ce passage sur la colère de Salles m'a plu, et comme il était mentionné que ces mots catégoriques étaient prononcés en latin, voilà qui m'a donné l'idée d'un petit défi avec mon père : traduire le passage en latin.
Autant vous dire que le grand gagnant est mon papa, puisqu'il "speaks latin language fluently". A côté mon bafouillage est si pitoyable qu'il vaut mieux l'envoyer aux oubliettes.
Voici ce que ça donne, en bon latin donc :
"Id cognosce, mi frater, quod nullus, ut a me jussus est, oboedientiam abjicere potest, ibi unicus sum dominus et si personam tuam sacerdotalem mea voluntate in honore habeo, ea tamen e juridictione mea te non tollit. Acta tua, existimo, ab honestate remota sunt et apud quos talis causa postulat nomen tuum deferre cogito. Te moneo quod, si quamlibet conjurationem adversus me facias, operibus publicis te castigem et, si simila acta manifesta habeam, in catenis usque ad portum te teneam."
Si c'est pas de l'inutile, ça !
Merci papanou !
Clémence- Officier de la Couronne d'Acier
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Clémence, vous m’épatez ! J'ai adressé votre traduction à mes parents, mes soeurs et mes cousins. Je remercie votre papa à qui je vous prie de transmettre mes salutations.
A propos d’inutile…
J’ai souvent demandé à mes grands-parents ce que faisaient de leurs saintes journées leurs propres grands-parents rentiers de campagne avec peu de moyens (ainsi ce Ludovic marin a cessé de voyager après la guerre de 70). De ces ancêtres dont on dit qu’ils ne travaillaient pas, on peut tout aussi bien dire qu’ils n’avaient pas de loisir. Pas de tennis, de piscine ou de musique. Croyez-vous qu’ils se la coulaient douce ? Ils géraient leurs terres agricoles et leur personnel ; ils rendaient des services, et voilà qui les occupait un bon bout de journée, dans un monde sans auto ni téléphone, ni ordinateur ni photocopie, où tout prend donc beaucoup de temps.
Ils cultivaient également l’art de la conversation et donc les bons usages de notre langue. Voilà un loisir peu coûteux !
Je crains de m’ennuyer dans les thés et les dîners, parce que les belles conversations sont rares. On se souvient longtemps d’une prise de bec élégante, d’une fêlure maîtrisée, d’une rage retenue, ou d’une anecdote joliment contée. Le plus souvent, nous n’avons rien à nous dire, ou plutôt nous ne savons rien dire, en dehors de listes de courses, de nos déboires avec l’administration, les animaux domestiques, les voisins et les patrons ; chacun ne parle que de soi, de son boulot, de ses soucis, et parfois on tombe sur un raseur et c’est toute une vie qui y passe, à grandes vagues d’épanchements égocentriques. Les ennuis des autres ennuient. La plupart du temps, lors de ces réunions, il ne nous reste qu’à boire.
On imagine pourtant les notables ruraux du XIXe siècle, heureux en passant des après-midi à converser. Ils n’étaient pas interrompus par les enfants ni séduits par des loisirs. Ils recevaient peu d’informations. Leurs conversations n’étaient alimentées ni par des résultats sportifs ni par des nouvelles d’un salon d’automobiles. Ils parlaient par plaisir.
Quand les échanges d’idées venaient à s’épuiser, on revenait aux contes, aux généalogies et aux jeux de salon. On passait des soirées à faire des bouts rimés et des parties d’"ambassadeur" (j'ai connu ça, mais ça remonte aux années 70)… On appréciait la compagnie de tel cousin qui parlait bien, de tel « homme du monde » du voisinage dont la présence animait brillamment le salon. Ces galanteries et ces débats devaient tourner souvent à des mondanités de précieuses – mais ils n’étaient sans doute pas si ridicules que ça. Et notre époque jargonnante est mal placée pour rire des préciosités des époques passées !
Eh bien, et c’est là que je voulais en venir, ma grand-mère m’a dit que pour varier, mon arrière-arrière-grand-père, son fils et ses amis de Castelmoron-sur-Lot conversaient toute une journée par semaine en latin, au milieu des rangs de pruniers d’ente.
A propos d’inutile…
J’ai souvent demandé à mes grands-parents ce que faisaient de leurs saintes journées leurs propres grands-parents rentiers de campagne avec peu de moyens (ainsi ce Ludovic marin a cessé de voyager après la guerre de 70). De ces ancêtres dont on dit qu’ils ne travaillaient pas, on peut tout aussi bien dire qu’ils n’avaient pas de loisir. Pas de tennis, de piscine ou de musique. Croyez-vous qu’ils se la coulaient douce ? Ils géraient leurs terres agricoles et leur personnel ; ils rendaient des services, et voilà qui les occupait un bon bout de journée, dans un monde sans auto ni téléphone, ni ordinateur ni photocopie, où tout prend donc beaucoup de temps.
Ils cultivaient également l’art de la conversation et donc les bons usages de notre langue. Voilà un loisir peu coûteux !
Je crains de m’ennuyer dans les thés et les dîners, parce que les belles conversations sont rares. On se souvient longtemps d’une prise de bec élégante, d’une fêlure maîtrisée, d’une rage retenue, ou d’une anecdote joliment contée. Le plus souvent, nous n’avons rien à nous dire, ou plutôt nous ne savons rien dire, en dehors de listes de courses, de nos déboires avec l’administration, les animaux domestiques, les voisins et les patrons ; chacun ne parle que de soi, de son boulot, de ses soucis, et parfois on tombe sur un raseur et c’est toute une vie qui y passe, à grandes vagues d’épanchements égocentriques. Les ennuis des autres ennuient. La plupart du temps, lors de ces réunions, il ne nous reste qu’à boire.
On imagine pourtant les notables ruraux du XIXe siècle, heureux en passant des après-midi à converser. Ils n’étaient pas interrompus par les enfants ni séduits par des loisirs. Ils recevaient peu d’informations. Leurs conversations n’étaient alimentées ni par des résultats sportifs ni par des nouvelles d’un salon d’automobiles. Ils parlaient par plaisir.
Quand les échanges d’idées venaient à s’épuiser, on revenait aux contes, aux généalogies et aux jeux de salon. On passait des soirées à faire des bouts rimés et des parties d’"ambassadeur" (j'ai connu ça, mais ça remonte aux années 70)… On appréciait la compagnie de tel cousin qui parlait bien, de tel « homme du monde » du voisinage dont la présence animait brillamment le salon. Ces galanteries et ces débats devaient tourner souvent à des mondanités de précieuses – mais ils n’étaient sans doute pas si ridicules que ça. Et notre époque jargonnante est mal placée pour rire des préciosités des époques passées !
Eh bien, et c’est là que je voulais en venir, ma grand-mère m’a dit que pour varier, mon arrière-arrière-grand-père, son fils et ses amis de Castelmoron-sur-Lot conversaient toute une journée par semaine en latin, au milieu des rangs de pruniers d’ente.
jean-baptiste- Grand Cordon de l'Etoile du Sud
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Ne pourrait-on dire que nos modernes forums renouent avec ce plaisir de la conversation ? Mais il est vrai que converser à distance, sans pouvoir user du "langage non verbal" que sont mimiques, inflexions, regards, sourires, oblige à inventer d'autres moyens...
Ah bah par exemple ce simley qui va manifester ma joie de signer ici ma 1000ème petite goutte dans l'océan d'inutile mais plaisant bavardage :
Ah bah par exemple ce simley qui va manifester ma joie de signer ici ma 1000ème petite goutte dans l'océan d'inutile mais plaisant bavardage :
Dernière édition par Clémence le Mer 19 Mai - 8:47, édité 1 fois (Raison : y'avait plein de fôtes... l'émotion...)
Clémence- Officier de la Couronne d'Acier
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pierre D- Officier de la Constellation du Sud
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Re: mon arrière-arrière-grand-père salles
Clémence a écrit:
Ah bah par exemple ce simley qui va manifester ma joie de signer ici ma 1000 petite goutte dans locéan d'inutile mais plaisnat bavardage :
ça, c'est du tapé dans le mille avec ce joyeux smiley bondissant ! Bravo et félicitations pour ce millième 'message' ...
ferney- Commandeur de la Constellation du Sud
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